Cette année, il a fallu faire une nouvelle demande pour quatre de nos baux de récolte d’ascophylle en Nouvelle-Écosse. Depuis plus de vingt ans, Algues Acadiennes gère et exploite avec soin ces concessions que nous a octroyées le gouvernement. Nous venons de publier un article scientifique révisé par des pairs qui montre que l’état de la ressource est resté le même pendant ces vingt années (à lire ici!).
Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses choses ont changé dans l’industrie des algues, notamment la façon dont nous évaluons la quantité d’ascophylle pouvant être récoltée de façon durable dans chaque concession. Dans le cadre de nos évaluations continues des ressources en algues marines, nous évaluons trois composantes principales pour déterminer la quantité d’algues qui peut être récoltée.
Tout d’abord, il faut savoir à quelle vitesse les algues poussent. Cela nous indique la quantité d’algues que l’on peut prélever chaque année, ce que l’on appelle aussi le taux de récolte. D’après les taux de croissance que nous, et d’autres, avons observés dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, nous récoltons à un taux annuel de 25 % (c’est-à-dire que pour chaque tonne d’ascophylle présente dans une concession, nous récoltons jusqu’à 250 kg d’algues).
Deuxièmement, il faut savoir quelle quantité d’ascophylle existe dans chaque concession et secteur. C’est l’aspect de notre travail qui a le plus changé au cours des vingt dernières années. Une chose n’a cependant pas changé : c’est que chaque été nous continuons à nous rendre sur le rivage, nous traçons des transects (bandes ou lignes le long desquelles nous comptons et enregistrons les occurrences de l’algue) et nous mesurons la hauteur et le poids de l’ascophylle dans des centaines de quadrats (cadres standardisés) pour en étudier la distribution.
Ces données importantes informent et orientent nos activités de récolte d’année en année et, dans de nombreux cas, confirment simplement que l’ascophylle est en bonne santé et que notre récolte durable d’algues peut se poursuivre. En revanche, parfois, ce n’est pas le cas. Ainsi, à l’hiver – particulièrement rigoureux – de 2015, beaucoup de nos secteurs ont été recouverts d’une épaisse couche de glace. Nous avons alors observé d’importants dommages causés par la glace et nous avons réduit notre récolte en conséquence.
Même si nous réalisons encore des centaines de recensements chaque année, même cette partie de notre travail a changé (pour le mieux!). Auparavant nous avions l’habitude de noter les données sur papier sur le terrain, puis de passer une partie de l’hiver à saisir ces données dans des feuilles de calcul informatiques. Désormais, nous saisissons les données directement dans des formulaires numériques à l’aide de l’application ArcGIS Survey123. De cette façon, les données sont consignées systématiquement dans notre base de données et peuvent être consultées en ligne en temps réel. Non seulement cela a-t-il rehaussé l’efficacité de notre équipe scientifique, mais cela a aussi considérablement amélioré notre temps de réaction et notre capacité à garantir l’observation des meilleures pratiques de gestion.
Saisies d’écran de l’application de recensements
Ce n’est pas tout de mesurer la quantité d’ascophylle à l’intérieur d’un quadrat. Nous devons également connaître la taille de chaque peuplement. (La taille des lits ou des peuplements d’ascophylle varie beaucoup le long du littoral). Il y a des décennies, on mesurait les peuplements avec un ruban à mesurer, en supposant qu’ils formaient plus ou moins des masses linéaires le long du rivage. Ainsi, en mesurant la largeur du peuplement et la longueur du rivage qu’il recouvrait, on obtenait une estimation de la superficie du le peuplement.
Au fil des années, nous avons amélioré nos mesures de la superficie des peuplement en utilisant des photographies aériennes et en traçant à la main ce que nous considérions comme des peuplement d’ascophylle. Cela représentait une amélioration par rapport à la méthode précédente, mais comme toutes les photographies n’avaient pas été prises à marée basse et qu’il pouvait être difficile de distinguer l’ascophylle (de la boue) sur certaines photographies anciennes, la méthode n’était pas sans failles. Sans compter que le traçage manuel de chaque peuplement sur des centaines de kilomètres de côte était pour le moins laborieux…
Où se trouve l’ascophylle?
Ainsi, lorsqu’il a fallu effectuer une évaluation complète de la biomasse pour ces quatre concessions (en Nouvelle-Écosse, les évaluations de la biomasse doivent maintenant être vérifiées par une tierce partie), nous avons décidé que le moment était venu de recourir à des techniques plus modernes. Nous avons acheté des images satellitaire multispectrale capable de couvrir l’ensemble de nos concessions. Nous avons soigneusement choisi des images prises à marée basse et par temps clair, sans nuages. À elle seule, la nébulosité ne nous a pas facilité la tâche! Les appareils photo numériques conventionnels enregistrent la lumière rouge, verte et bleue et combinent ces trois couleurs pour produire une palette de couleurs. Or, le terme multispectral signifie que des bandes (ou longueurs d’onde) autres que le rouge, le vert et le bleu sont également mesurées. Dans notre cas, la bande du proche infrarouge (NIR) présentait un intérêt particulier, car si toute la végétation (y compris les algues) absorbe une grande partie de la lumière visible pour la photosynthèse, elle reflète la majeure partie de la lumière dans le spectre du proche infrarouge. C’est ainsi que la végétation apparaît très brillante lorsqu’on l’observe dans la bande du proche infrarouge (NIR). Il est donc possible d’aller plus loin et de calculer le rapport entre le NIR et la lumière visible. À ce moment, la végétation présentera des valeurs élevées, tandis que tout le reste aura des valeurs faibles.
Image satellitaire de l’île du cap de Sable; la végétation est indiquée en rose vif.
Ainsi, plus besoin d’essayer de déterminer si une partie de la côte est couverte de boue ou d’ascophylle, puisque les régions peuplées d’algues ressortent clairement. Cela est si clair que nous n’avons pas besoin de tracer les peuplements à la main, étant donné que l’ordinateur peut le faire pour nous! Cela présente deux avantages principaux :
Pour ne pas inclure d’autre végétation (par exemple, des plantes terrestres), nous utilisons des cartes topographiques de haute précision pour éliminer tout ce qui se trouve au-dessus de la ligne de marée haute.
Enfin, nous devons savoir quels peuplements, et quelle partie de chaque peuplement, les exploitants vont effectivement récolter. Ce serait simple si les exploitants pouvaient accéder à la totalité d’un peuplement, et notre travail en serait d’autant facilité. Mais certains peuplementsont tout simplement trop exposés aux vagues ou trop éloignés des sites de débarquement pour permettre une traversée – sans danger – d’une mer exposée dans un bateau rempli d’algues. Certaines algues poussent sur de petits galets et il est donc difficile de les récolter sans ramasser également un tas de roches. Dans certains peuplement, l’ascophylle n’est pas assez haute pour être économiquement récoltable. Il n’y a pas de moyen simple de calculer tout cela, et nous n’avons pas encore trouvé de formule mathématique qui le ferait (mais qui sait, un jour peut-être?). C’est donc ici que nos 25 années d’expérience entrent en jeu. Après des années d’observations sur le terrain et de discussions avec les exploitants (certains travaillent dans les mêmes secteurs depuis 40 ans!), nous pouvons dire que nous avons une connaissance intime de notre ascophylle.
Donc, une fois que nous avons fait tout notre travail sur le terrain et procédé à l’analyse des images satellites pour calculer exactement la quantité de biomasse qu’il y a dans chacun de nos secteurs, nous allons un peu plus loin pour nous assurer que notre récolte sera durable. Nous déduisons tous les peuplementset la biomasse auxquels nous estimons que nos exploitants ne pourront avoir accès et nous calculons notre taux de récolte en fonction des 25 % de la biomasse que nous savons qu’ils vont cibler. Nous ne sommes pas obligés de procéder ainsi; nous pourrions baser nos taux de récolte sur toute l’ascophylle qui pousse dans nos secteurs. Ce serait toutefois une façon moins durable de gérer cette importante ressource et ce n’est certes pas la façon de faire des Algues Acadiennes.
S’il y a un thème qui guide ces composantes du processus d’évaluation de la biomasse, c’est la bonne intendance ou la bonne gestion. Depuis bien avant mon arrivée aux Algues Acadiennes en 2014, l’entreprise s’était engagée à surveiller rigoureusement l’incidence de nos processus et opérations de récolte sur cette incroyable ressource naturelle.
Même si les techniques, la technologie et les connaissances scientifiques progressent au fil du temps, nous serons toujours guidés par ce principe de la bonne intendance pour nous assurer que les populations d’algues côtières font partie intégrante des écosystèmes naturels tout en offrant des avantages considérables aux collectivités du monde entier.
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